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Trois mois passèrent. Hitler avait fait occuper de force la Tchécoslovaquie ou, du moins, ce qui en restait après les abandons consentis à Munich, l’automne précédent, par l’Angleterre et la France. Le monde sentait venir la catastrophe.
Au début de l’été 1939, Kersten, qui se trouvait à La Haye, fut appelé au téléphone par un aide de camp de Himmler. Le Reichsführer souffrait beaucoup. Il priait le docteur de venir à Munich aussi vite que possible.
À la gare, une voiture militaire, conduite par un chauffeur S.S. en uniforme, l’attendait, qui l’amena à Gamund Tagan See, localité située à quarante kilomètres de Munich, sur un lac admirable.
Himmler y occupait une petite maison avec sa femme, plus vieille que lui de neuf ans, d’aspect insignifiant, de visage ingrat, maigre, sèche, et sa fille, âgée alors d’une dizaine d’années, blonde et fade.
Kersten fut logé dans un hôtel des environs, mais Himmler voulut absolument avoir le docteur à tous les repas chez lui, en famille. On eût dit que Himmler cherchait à se concilier le magicien qui, de nouveau, le délivrait de ses tourments, et à faire d’un sorcier un ami.
À table, il parlait volontiers de la Bavière, sa province natale, et du temps où elle était un royaume souverain. Il était très fier d’un arrière-grand-père qui avait servi comme soldat de métier dans la garde bavaroise sous le roi Otto, et, ensuite, comme intendant de police à Lindau, sur le lac de Constance.
Toutefois, les véritables entretiens entre Himmler et Kersten, et les seuls qui fussent pour le docteur d’un intérêt capital, avaient lieu au cours des traitements. Là, Himmler n’était plus le maître de maison ou le chef des troupes spéciales et de la police secrète, mais le malade à demi nu et heureux de s’abandonner, de se livrer aux mains du miracle.
Ces conversations, à un moment ou à un autre, par tel ou tel détour, aboutissaient à l’événement qui hantait l’esprit de Himmler. La guerre. La guerre proche. La guerre imminente. La guerre décidée sans appel par Hitler.
Et Himmler répétait comme une litanie la leçon, le message suprêmes.
— Le Führer, disait-il, veut la guerre. Le monde ne peut pas connaître une vraie paix avant que la guerre ne le purifie. Le National-Socialisme doit éclairer le monde. Après la guerre, le monde sera national-socialiste.
Et Himmler disait encore :
— Le pacifisme, c’est la faiblesse. L’Allemagne possède la meilleure armée de l’univers. Et Hitler veut façonner le monde avec son armée.
Au commencement, Kersten ne répondit rien à ces discours. Il aurait voulu ne pas les entendre, ne pas y croire, les tenir pour un effet du délire. Mais ils avaient le son de la vérité, de la fatalité. L’illuminé sinistre qui allait déchaîner la plus effroyable catastrophe, Himmler le voyait chaque jour. Il ne faisait que rapporter, comme un disque, ses paroles. Et Himmler lui-même allait être, de cet homme, dans cette catastrophe, et pour la part la plus ignoble, la plus impitoyable, l’un des instruments essentiels.
Himmler – ce patient chétif, qui gémissait sous les doigts du docteur et, ensuite, le considérait avec une reconnaissance émerveillée, enfantine.
Peu à peu, Kersten se mit à répondre à Himmler. Ce n’est point qu’il espérait changer quoi que ce fût aux événements qui se préparaient. Mais il ne voulait pas que Himmler fût tenté de croire à son approbation ou même à son indifférence.
Il dit sans retenue ce qu’il pensait : la guerre était un attentat contre l’humanité et qui se retournerait contre l’Allemagne elle-même ; un seul pays ne pouvait pas l’emporter sur tous les autres rassemblés. Himmler n’avait qu’une réponse : – Le Führer a dit…